Faire reconnaître le traumatisme psychique, aider les personnes qui en sont victimes et former les professionnels de santé à sa compréhension et à sa prise en charge. Association à but non lucratif, sans appartenance philosophique, politique ou religieuse.
M. Afrasiab, Doctorante en neurosciences, psychologue au CNRS, CHU la Pitié Salpétrière à Paris a suivi un stage de l’Institut Européen de Thérapies Somato-Psychiques animée par Maggie Philips PhD USA : " Le corps, ultime guérisseur du traumatisme". Elle nous livre ci-dessous un article sur les liens de la fibrmaylgie et du trouble post-traumatique.
Introduction
Si l’on se réfère aux classifications psychiatriques actuelles, comme le DSM-IV (1), les événements traumatiques peuvent être associés à des diagnostics d’états de stress aigus (ESA), d’états de stress post-traumatiques (ESPT) et de troubles de l’adaptation. Ces diagnostics sont posés en fonction de la nature, de l’intensité, et de l’évolution temporelle des symptômes faisant suite au traumatisme. Par ailleurs, de nombreux troubles psychiatriques (anxiété, symptôme dépressif, psychoses, addictions, etc.) peuvent être déclenchés, facilités ou révélés dans un contexte post-traumatique, même si ce contexte n’est plus en lien direct avec les événements traumatiques. Enfin, la catégorie des troubles conversifs, troubles somatoformes ou dissociatifs, est particulièrement importante à explorer chez les victimes de psycho-traumatisme. Nous allons préciser les pathologies associées d’une part le PTSD et d’autre part la fibromyalgie pour pouvoir réfléchir sur les liens potentiels entre ces deux pathologies.
I- Le trouble post traumatique
La première description de pathologie psychotraumatique remonte à l’antiquité grecque, lorsque Hérodote retraça l’épopée de la confrontation entre les Grecs et les Mèdes en 490 avant J.C., lors de la bataille de Marathon (7). Le terme de trauma n’est introduit dans la psychiatrie qu’à la fin du XIXème siècle par Herman Oppenheim pour décrire des troubles présentés par les premières victimes des accidents de chemin de fer. Mais c’est la médecine et la psychiatrie militaires, notamment lors des deux guerres mondiales, qui se confronta réellement à cette question, et les développements les plus importants vinrent de la prise de conscience, effectuée aux Etats-Unis, des conséquences psychosociales majeures des traumatismes vécus par les vétérans du Vietnam.
Le trouble le plus typique et le plus fréquent dans les suites d’un événement traumatique est l’ESPT (état de stress post-traumatiques), dont la définition actuelle apparut formellement en 1980 dans le DSM-III. Ce trouble ne peut survenir que lorsque le sujet a été exposé à un évènement traumatique dans lequel il a vécu, ou a été témoin, d’un événement durant lequel son intégrité physique ou celle d’autrui a été menacée (19). Le sujet doit avoir éprouvé une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur au moment de l’événement. Après une période de latence qui peut être de quelques jours, ou de quelques semaines, quelques mois, voire quelques années, le sujet présente de manière durable trois types de symptômes : 1/ un syndrome de reviviscence durant lequel l’évènement traumatique est constamment revécu sous la forme de souvenirs, de cauchemars, d’illusions, d’hallucinations ou de flash-backs ; 2/ un syndrome d’évitement qui conduit le sujet à fuir toutes les situations, les pensées, les représentations, les émotions et les souvenirs qui lui rappellent l’événement traumatique ; et enfin, 3/ un syndrome d’hyper activation (arousal) sympathique se traduisant par des symptômes neurovégétatifs, des troubles du sommeil, une irritabilité, une hyper vigilance, des réactions de sursauts exagérés. Il s’agit d’un trouble le plus souvent chronique, à l’origine d’un retentissement psychosocial important en terme de qualité de vie, de consommation de soins, de handicap fonctionnel et de complications à la fois psychiatriques, dépressives et addictives surtout.
L’épidémiologie des ESPT est complexe à établir car elle dépend surtout des taux d’exposition des populations aux différents types d’événements traumatiques. D’après les rares études épidémiologiques en population générale, ces taux varient de manière très sensible en fonction des pays et de milieux. Aux USA, les taux d’exposition à au moins un événement traumatique collectif ou individuel varient entre 60 et 90% (4, 13). Pour l’Europe, une étude a été menée dans la région de Munich sur un échantillon représentatif d’adolescents et de jeunes adultes et l’on retrouve un taux de prévalence d’événements traumatiques de 17%, et un taux d’incidence sur 3-4 ans de 20% environ (17). En fonction de ces données, environ 2 à 10% de la population générale de ces pays répondent ou ont répondu aux critères diagnostiques de l’ESPT. Mais on note de fortes disparités dans les risques de survenue d’un ESPT selon la nature des événements vécus : ils varient par exemple entre 1,4% lorsqu’il s’agit seulement d’apprendre la survenue d’un événement grave, et 65% lorsque le sujet subit lui-même un viol (19). Le sex-ratio de l’ESPT dans la plupart des populations est d’environ deux femmes pour un homme, et la durée d’évolution est en moyenne de 3 à 5 ans. Il est à noter, par ailleurs, que l’on repère une comorbidité entre l’ESPT et différents troubles, comme les états dépressifs (risque multiplié par six), l’agoraphobie (risque multiplié par quatre), et enfin l’alcoolisme (risque multiplié par trois).
Les études de Jakupcak et al (10), Tagay et al. (18), Zatzick et al. (20), Perkonigg et al. (14) et Escobar et al. (9) montrent que les troubles somatoformes et l’ESPT sont significativement liés et que les symptômes somatiques sont plus fréquents chez sujets souffrant de l’ESPT. L’étude épidémiologique de Davidson et al. (8) réalisée sur une population générale aux Etats-Unis a retrouvé un risque multiplié par 90 de présenter un trouble de « somatisation » chez les sujets répondant aux critères d’ESPT.
II-La fibromyalgie
La fibromyalgie est une maladie chronique, caractérisée par des douleurs musculaires. Le patient se sent fatigué à un point tel qu’il n’arrive pas à accomplir les tâches quotidiennes. La fibromyalgie est fréquemment associée à des symptômes dépressifs ou anxieux, qui génèrent des perturbations importantes au niveau du sommeil. Par ailleurs, différentes études ont montré des perturbations hormonales et métaboliques. Ainsi, selon l’étude de Bazzich et al, il existe un déficit au niveau des sites des transporteurs 5-HT (transporteur de sérotonine) dans la fibromyalgie (2).
En ce qui concerne l’épidémiologie, 2% de la population générale serait touchée par cette maladie dont essentiellement femmes.
Actuellement, la cause de cette maladie reste non définie. Différents traitements sont prescrits pour soigner la fibromyalgie : des antalgiques, des antidépresseurs et des anti-inflammatoires. A ce traitement médicamenteux s’ajoute le plus souvent à la fois une prise en charge physique, afin de ré-entrainer les muscles, et une prise en charge psychologique, afin d’accompagner et de soutenir le patient.
III-Fibromyalgie et trouble post-traumatique
Selon l’étude de Keel P. Z Rheumatol menée en 1998, les patients atteints de fibromyalgie souffrent de troubles psychiatriques. Le plus souvent, ces désordres corespondent à des douleurs somatoformes persistantes (ICD-10) et dysthymiques Dans de nombreux cas, des expériences traumatiques répétitives qui ont été vécues aussi bien pendant l’enfance que durant la période adulte sont découvertes, ce qui nous aide à comprendre certaines des difficultés rencontrées dans la psychothérapie avec les patients atteint d’un syndrome de fibromyalgie (12).
D’autres études ont montré la comorbidité qui existe entre la fibromyalgie et les états de stress post-traumatiques (ESPT) (15,16). L’équipe menée par Raphael a mis en évidence dans une population américaine qui ont vécu durant le 11 septembre 2001, l’attaque du World Trade Center, qu’il existe une comorbidité entre la fibromyalgie et les états de stress post-traumatiques (PTSD), et que des facteurs de risque psychobiologiques restent plausibles entre ces deux pathologies.
Une autre étude menée sous la direction de Shermann évalue les symptômes similaires aux états de stress post-traumatiques (ESPT-like) parmi les sujets atteints de fibromyalgie et examine la relation entre ces deux entités. Dans cette étude, 93 patients ont subi une évaluation étendue de leur syndrome de fibromyalgie et ont rempli des questionnaires psychométriques, mesurant à la fois les symptômes similaires aux états de stress post-traumatiques, le handicap et les réponses psychosociales qu’ils ont développé face à leur douleur. Les sujets furent divisés en deux groupes selon le niveau des symptômes similaires aux états de stress post-traumatiques qu’ils déclaraient. Approximativement, 56 % de l’échantillon montre sur le plan clinique des niveaux significatifs de symptômes ‘‘similaires aux états de stress post-traumatiques’’ (ESPT+). Ces patients ont montré de façon significative un plus grand niveau de douleur (p <0.01), de détresse émotionnelle (p <0.01), d’interférence dans leur vie (p <0.01) et d’infirmité (p <0.01), et ce, par rapport aux patients non atteints par des symptômes similaires aux états de stress post-traumatiques (ESPT-). Ces travaux soulignent que les sujets peuvent développer des douleurs chroniques (fibromyalgie) suite à un événement traumatique.
Enfin, l’étude menée sous la direction de Cohen met en évidence que la prévalence du trouble post-traumatique est significativement plus élevée chez les patients souffrant de fibromyalgie que dans la population générale (6). Cette étude montre qu’il existe une co-existence (un chevauchement) entre ces deux troubles que sont la fibromyalgie et les ESPT. Par ailleurs, les femmes atteintes d’une fibromyalgie et présentant un ESPT ont signalé un plus grand nombre de traumatismes événementiels dans leur passé que ne l’ont fait les hommes atteints des mêmes troubles.
Conclusion
Ces données montrent l’importance des troubles psychologiques, et particulièrement du trouble post-traumatique, qui accompagnent les symptômes de fibromyalgie. Il parait alors important d’effectuer un dépistage et une prise en charge globale des sujets atteints de cette maladie en leur proposant une prise en charge pluridisciplinaire, au travers de traitements médicamenteux, d’une rééducation physique et d’un accompagnement psychologique afin de réduire la souffrance liée aux troubles psychiques associés.
Bibliographie
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Dernière mise à jour le vendredi 17 décembre 2010, par Marie-Christine Millequand